L’essentiel

Nous avons traité de façon générale les solutions actuelles de gestion des eaux pluviales urbaines et explicité leurs avantages et inconvénients dans la question « Le tout-à-l’égout est-il une bonne solution pour gérer les eaux pluviales urbaines ? ». Nous nous intéressons ici à un type particulier de techniques alternatives aux réseaux d’évacuation : celles reposant sur l’infiltration in situ des eaux pluviales urbaines [1].

L’imperméabilisation des sols, associée au processus d’urbanisation, modifie profondément le bilan hydrologique dans les villes : les volumes d’eau infiltrés diminuent de façon drastique, alors que les volumes d’eau ruisselés augmentent.

La modification de cette répartition a des conséquences négatives sur le régime des rivières (augmentation des débits de crue, diminution des débits en période de sécheresse), mais aussi sur le climat de la ville (augmentation des températures en été), sur la stabilité des bâtiments du fait du dessèchement des sols, sur la recharge des nappes ou sur la qualité des cours d’eau.

Développer des solutions permettant d’infiltrer l’eau de pluie dans le sol des villes permet à l’évidence de limiter ces conséquences négatives. Il s’agit donc d’une approche qui est très intéressante sur le plan environnemental, mais également sur le plan économique.

De plus, il existe un grand nombre de techniques, parfois très anciennes, parfois fondées sur des innovations technologiques récentes, qui permettent de trouver une solution adaptée à n’importe quel contexte.

Pourtant, malgré ces avantages, beaucoup de personnes ont peur d’infiltrer les eaux pluviales urbaines et évoquent différents risques. L’analyse détaillée de ceux-ci montre que, dans la plupart des cas, il s’agit de craintes, voire de fantasmes, ne reposant sur aucun élément objectif.

En conséquence, non seulement il n’est pas dangereux d’infiltrer les eaux pluviales urbaines, notamment au plus près de l’endroit où elles ont été précipitées, mais, bien au contraire : ce type de solutions permet de se prémunir contre des risques bien réels que présentent les solutions traditionnelles.

[1Pour cette raison, les notions présentées dans cet autre document sont simplement rappelées ici, mais sans faire l’objet de développement

Que deviennent les volumes d’eau apportés par les précipitations sur les villes ?

Quel que soit le type de surface sur lequel ils tombent, les volumes d’eau produits par les précipitations s’évacuent de trois façons différentes :

  • Une première partie reste stockée en surface ou dans les couches de sol superficielles pendant quelques heures ou quelques jours, puis retourne à l’atmosphère par évaporation ou évapotranspiration [1] ;
  • Une deuxième partie s’infiltre en profondeur et rejoint une nappe phréatique, puis s’écoule lentement jusqu’à rejoindre la surface sous la forme d’une source ou pour réalimenter un cours d’eau superficiel, de quelques semaines à quelques années plus tard ;
  • Une troisième partie ruisselle en surface et rejoint les eaux de surfaces (rivières ou lacs) en quelques minutes ou quelques heures.

Comment l’urbanisation modifie-t-elle le cycle hydrologique ?

Le processus d’urbanisation modifie la répartition naturelle entre ces trois parties de différentes manières :

  • l’imperméabilisation des sols diminue fortement les possibilités d’infiltration, que ce soit en profondeur vers la nappe ou vers les couches superficielles.
  • Les villes sont peu végétalisées, la part évaporée et/ou évapotranspirée diminue beaucoup.
  • En conséquence, la part qui ruisselle augmente de façon considérable.

Cette évolution est illustrée par la figure de droite.

La modification de cette répartition a des conséquences négatives sur le régime des rivières (augmentation des débits de crue, diminution des débits en période de sécheresse), mais aussi sur le climat de la ville (augmentation des températures en été), sur la stabilité des bâtiments du fait du dessèchement des sols [2], sur la recharge des nappes ou sur la qualité des cours d’eau.

Comment les eaux de ruissellement sont-elles habituellement gérées dans les villes ?

La solution la plus courante pour gérer les eaux de pluie qui ruissellent sur les surfaces imperméables consiste à les canaliser, d’abord dans des caniveaux, puis dans des conduites souterraines de façon à les évacuer le plus rapidement possible de la ville.

Cette évacuation est faite au moyen d’un gigantesque système de tuyaux qui, très souvent, recueille également les eaux usées.

Ce mode de gestion est extrêmement couteux en infrastructures. De plus, il occasionne des dysfonctionnements multiples : débordements des réseaux provoquant des inondations dans les centres des villes, rejets d’effluents pollués dans les milieux naturels. Enfin, les vitesses d’écoulement sont augmentées et l’eau rejoint encore plus rapidement les rivières, ce qui accentue également les risques de les faire déborder.

La solution technique classique aggrave donc les dysfonctionnements produits par l’imperméabilisation des sols. Elle transforme une ressource précieuse, l’eau de pluie, en un déchet et en une menace pour la population.

Existe-t-il des solutions plus durables pour gérer les eaux pluviales urbaines ?

Il existe pourtant des solutions alternatives à l’évacuation rapide des eaux par des réseaux souterrains. Ces solutions sont plus durables, en ce sens qu’elles permettent de faire fonctionner correctement la ville, tout en ayant des impacts moins marqués sur le cycle naturel de l’eau. Ces solutions reposent en fait sur deux principes simples :

  • Favoriser l’infiltration, chaque fois que ceci est possible ;
  • Ralentir les écoulements, en développant le stockage et la rétention de l’eau à toutes les échelles urbaines.

Une façon synthétique de présenter ces solutions consiste à dire qu’elles ont pour but de rendre la ville transparente pour l’eau, en faisant en sorte que le cycle hydrologique soit le moins possible modifié par la présence des espaces construits.

[1Les plantes puisent en permanence de l’eau dans le sol par leurs racines. Cette eau est ensuite transportée dans les feuilles qui en perdent une partie par transpiration au niveau des stomates. C’est ce phénomène que l’on appelle évapotranspiration (Un stomate est un orifice de petite taille présent dans l’épiderme des organes aériens des végétaux).

[2Les dégâts aux immeubles dus au tassement des sols constituent la première cause de sinistre en France avec les inondations – voir le site : catnat.net.

Comment peut-on mettre en œuvre pratiquement ces solutions ?

Il existe un très grand nombre de solutions techniques qui peuvent se mettre en œuvre à toutes les échelles et qui peuvent s’adapter à tous les types d’urbanisme. Les photos ci-contre, toutes prises sur l’Ecocampus LyonTech la Doua [1], illustrent à la fois la diversité des solutions possibles et l’évolution des modes de pensée au cours des 50 dernières années.

Le bassin d’infiltration de l’IUT recueille les eaux d’environ 2 hectares de surfaces imperméables. Il a été construit à la fin des années 60, à une époque où les dispositifs d’infiltration étaient encore uniquement considérés comme des ouvrages de Génie Civil. Le volume important de la cuvette permet de stocker momentanément l’eau en cas de pluie intense. Son fond est constitué d’une cinquantaine de centimètres de galets grossiers qui mettent sa surface directement en contact avec la nappe phréatique. Malgré cette mauvaise conception, qui ne serait plus utilisée aujourd’hui, les recherches menées sur ce site (qui constitue l’un des sites d’observation de l’OTHU- Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine) n’ont pas mis en évidence de pollution de la nappe.

Le terrain de sport de l’INSA Lyon - Les eaux de ruissellement provenant des bâtiments industriels et des voiries situés à proximité de ce terrain de sport sont infiltrées sous sa surface en utilisant un système de drains. En cas de pluie intense, le bassin peut être momentanément inondé sous quelques dizaines de centimètres d’eau. Cette situation n’a pas été observée depuis la construction de l’ouvrage, même s’il y a parfois un peu d’eau en surface. Construit dans les années 1970, cet ouvrage est représentatif de la volonté de développer les usages multiples sur des espaces gérées par la collectivité. Le fait d’utiliser un revêtement synthétique n’est pas contraint par la fonction d’infiltration mais par le fait que le terrain est utilisé de façon très intensive.

Le parking du bâtiment C.E.I. Insavalor a été réalisé en enrobé poreux dans les années 1980. Malgré une absence presque complète d’entretien et un très fort colmatage, se traduisant en particulier par la présence de mousse en surface, il continue à fonctionner de façon assez satisfaisante. Des flaques localisées se forment en surface pendant les périodes de pluies intenses (principalement sur des parties réparées avec du revêtement imperméable !), mais elles ne sont pas plus pénalisantes que celles qui se forment sur un parking en enrobé imperméable. Aucune déformation ou instabilité de la chaussée n’a été observé après 30 années de fonctionnement.

Les tranchées d’infiltration autour du bâtiment C.E.I. Insavalor sont située au ras des murs de l’immeuble. Elles recueillent uniquement les eaux de la toiture.

La rivière sèche au coeur de l’axe vert - Cette noue est représentative des idées actuelles de conception qui consiste à suggérer, même pendant les périodes sèches, que l’espace est susceptible de recevoir de l’eau (présence de pont et de galets visant à donner l’image d’une rivière à sec). Noter le mode très simple de traitement des voiries qui sont situées à une cote supérieure à celle des espaces verts, de façon à permettre à l’eau de s’écouler naturellement vers les espaces d’infiltration.

Une noue réalisée dans les années 50. Celle-ci n’a fait l’objet d’aucun entretien spécifique (exceptée la tonte de la pelouse) depuis cette période. L’eau des voiries et des bâtiments voisins y parvient par ruissellement direct (noter la pente de la voirie à gauche sur la photo). C’est l’un des endroits les plus agréables du campus, avec une végétation très développée. Aucune des personnes qui le fréquentent par beau temps n’imagine que cet espace a une fonction de gestion des eaux pluviales !

Une noue est tout simplement un fossé large et peu profond.

Il existe un très grand nombre de revêtement poreux ou perméables qui permettent de mettre en oeuvre l’infiltration des eaux pluviales ; dans ce cas, l’aménageur a utilisé des pavés en béton discontinus suffisamment résistants pour que cette allée soit accessible aux véhicules de service et de secours.

Pourquoi favoriser l’infiltration ?

Infiltrer l’eau dans le sol des villes présente de nombreux avantages :

  • Diminuer la part qui ruisselle et donc diminuer les risques d’inondation à l’aval, ainsi que les impacts associés aux apports massifs de polluants pendant les périodes pluvieuses.
  • Augmenter l’humidité des sols urbains et lutter contre leur assèchement, susceptible de provoquer des tassements différentiels des sols, et donc des dégâts aux bâtiments.
  • Mettre plus d’eau à disposition de la végétation et ainsi contribuer à sa bonne croissance, ce qui participe à la lutte contre les îlots de chaleur urbains.
  • Contribuer à recharger les nappes phréatiques et donc à reconstituer des réserves mobilisables pendant les périodes de sécheresse.
  • Créer des espaces urbains diversifiés et agréables à vivre.
  • Faire des économies car le coût des systèmes d’infiltration est presque toujours très inférieur à celui d’un réseau d’évacuation souterrain.

[1L’écocampus LyonTech la Doua vise à devenir une référence mondiale en matière de technologies propres. L’un de ses domaines privilégiés d’action est la gestion des eaux pluviales. Voir le site internet de l’Université de Lyon.

Existe-t-il réellement des risques à infiltrer les eaux pluviales urbaines ?

Malgré les intérêts développés ci-dessus, beaucoup de personnes ont peur d’infiltrer les eaux pluviales urbaines et évoquent différents risques. Ce paragraphe se propose de faire le tri entre les risques réels et ceux qui relèvent surtout du fantasme.

Existe-t-il un risque de pollution chronique des sols et des nappes par les eaux de ruissellement ?

La pollution des rejets urbains de temps de pluie a été fortement mise en cause dans la dégradation de la qualité des milieux aquatiques depuis les années 1980, et plus encore au cours des 10 dernières années. De ce fait, beaucoup de personnes craignent un risque de pollution des sols et des nappes par les eaux de ruissellement produites par les chaussées, voire par les bâtiments.

En pratique, la pollution des eaux de ruissellement varie beaucoup selon l’endroit où elle est mesurée et il existe aujourd’hui une bibliographie très importante qui permet de construire une image assez précise des risques [1].

Les quatre principaux éléments à retenir sont les suivants :

  • Il existe une confusion entre la pollution des eaux rejetées par temps de pluie par les systèmes d’assainissement, qui sont un mélange d’eau pluviale et d’eau usée, et la pollution des eaux de ruissellement.
  • Les eaux de pluie, lorsqu’elles arrivent sur le sol sont peu polluées, même en ville [2].
  • C’est au cours de leur trajet en surface, principalement dans les caniveaux, et encore plus dans les conduites souterraines, que les eaux se chargent en polluants ; il est donc possible de limiter cette contamination en raccourcissant le plus possible le trajet de l’eau en surface et en n’utilisant pas de réseau souterrain.
  • Les eaux se filtrent rapidement lors de leur infiltration dans le sol et la plupart des polluants sont retenus à proximité de la surface.

Toutes les études montrent ainsi que, pour la plupart des indicateurs, il n’existe aucun risque de pollution des sols en profondeur (on retrouve des concentrations proches du fond géochimique au plus à un mètre de profondeur, et ceci après plusieurs dizaines d’années d’utilisation) ni de pollution des nappes (la plupart des polluants véhiculés par les eaux de ruissellement étant fixés aux particules).

Le risque de pollution chronique des sols et des nappes par l’infiltration directe des eaux de ruissellement est donc quasiment nul, à la condition d’infiltrer les eaux au plus près de leur point d’arrivée au sol.

L’impact de ce type de solution sur les milieux naturels est en tout cas beaucoup plus faible que celui des solutions traditionnelles qui renvoient des charges considérables de polluants dans les rivières.

Existe-t-il un risque de pollution accidentelle des sols et des nappes ?

Le risque évoqué ici est celui d’un apport massif et accidentel d’un polluant dangereux sur la zone d’infiltration.

  • La cause la plus fréquente de survenue d’un tel évènement est constituée par les accidents de circulation, et en particulier par les accidents de poids lourds transportant des matières dangereuses. Sur les infrastructures beaucoup circulées (autoroutes par exemple), ce risque est pris en compte et géré par la mise en place d’ouvrages de confinement (bassins jouant d’ailleurs un double rôle de confinement et d’écrêtement des pointes de débit) [3].
  • Un autre risque potentiel est celui de l’incendie d’un bâtiment situé à proximité de la zone d’infiltration. Cet incendie peut produire des substances potentiellement polluantes et l’intervention des pompiers qui répandent de grande quantité d’eau est susceptible d’entraîner ces contaminants vers le système de gestion des eaux pluviales.
  • Le risque d’accident industriel (rupture de cuves ou de canalisations par exemple) constitue un troisième type d’événements potentiels.

Du fait de ces risques accidentels, beaucoup de gestionnaires ou de concepteurs considèrent que des solutions de confinement et/ou de traitement doivent être mises en œuvre en particulier pour les parkings.

Notons tout d’abord que ce risque ne concerne pas les eaux de toitures.

De plus, si un tel accident se produit, la pollution reste en général fixée dans les couches superficielles du sol qui peuvent être facilement excavées et éliminées. Si le risque est réel, il ne doit donc pas être exagéré.

Cet argument peut même être totalement retourné. En effet, dans le cas d’une évacuation classique par réseau, il est souvent très difficile de bloquer les produits polluants qui vont se déverser directement dans la rivière ou mettre à mal la station d’épuration. Dans le cas d’une gestion locale par infiltration, la pollution reste confinée dans une zone bien identifiée et peut être plus facilement traitée.

En conclusion, le risque de pollution accidentelle des sols et des nappes par l’infiltration d’un polluant dangereux provenant d’un accident de la circulation ou de toute autre cause existe, mais sa fréquence est généralement rare pour la plupart des situations ; de plus, des techniques efficaces existent pour traiter les sols pollués si le risque se matérialise.

L’infiltration directe ne devra cependant pas être utilisée lorsque l’aléa (par exemple, présence fréquente de camions chargés de matières dangereuses) et/ou la vulnérabilité (par exemple, nappe phréatique peu profonde utilisée pour la production d’eau potable) seront trop grands.

Le risque est acceptable dans tous les autres cas, d’autant qu’il est possible de s’en prémunir en se donnant la possibilité de déconnecter provisoirement les surfaces imperméables des ouvrages d’infiltration.

L’eau ne va-t-elle pas stagner trop longtemps en surface ?

Le risque évoqué ici est en fait double :

  • la capacité insuffisante du sol de surface à absorber l’eau de pluie, et donc la stagnation prolongée de l’eau en surface, éventuellement sous forme de boue ;
  • la capacité insuffisante du sol sous-jacent à transporter l’eau en profondeur vers la nappe phréatique, et donc à drainer l’ouvrage. Ces deux éléments sont très différents et ne doivent pas être confondus :
  • Le sol de surface est constitutif de l’ouvrage. Sa nature, et donc sa capacité d’infiltration initiale, peuvent donc être parfaitement contrôlées. Le risque réside donc plutôt dans le maintien de cette capacité d’infiltration au cours du temps. Cet aspect est traité dans le § « le sol ne risque-t-il pas de se colmater ? ».
  • Le sol sous l’ouvrage n’est en revanche pas contrôlé et il s’agit d’un paramètre de conception que l’on subit. C’est ce risque qui est traité ici.

Pour évaluer le risque réel d’insuffisance de la capacité d’infiltration, plusieurs éléments doivent être pris en compte :

  • Les sols urbains sont très souvent des sols artificiels constitués de déblais qui se sont accumulés au fil du temps. Ils sont donc extrêmement hétérogènes et leur capacité d’infiltration varie souvent dans des rapports très importants (de 1 à 10, voire davantage), à quelques mètres de distance. Or, pour drainer l’ouvrage, il suffit généralement d’avoir une bonne perméabilité sous une partie seulement de sa surface.
  • Les intensités de pluie sont le plus souvent inférieures ou très inférieures aux capacités d’infiltration des sols. A titre d’exemple, un sol très peu perméable [4] reste cependant capable d’infiltrer une pluie de 3 à 4 mm par heure, sans aucun stockage en surface. Cette intensité de pluie n’est dépassée que pendant quelques dizaines d’heures par an en France métropolitaine ; cette remarque sous-entend qu’on limite au maximum le rapport entre la surface de collecte et la surface d’infiltration.
  • De plus, il est parfaitement possible d’utiliser un volume de stockage pour retenir momentanément l’eau en attendant qu’elle s’infiltre ; par exemple, dans le cas d’un fossé en bordure de route. Il suffit donc d’adapter le volume de stockage à la capacité d’infiltration des sols. L’eau peut rester momentanément stockée en surface sans provoquer de nuisances.
  • Enfin, en cas d’insuffisance de la capacité d’infiltration due à une pluie exceptionnelle, les volumes en cause restent faibles dans la mesure où les eaux de ruissellement sont gérées très près de leur lieu de production. Avec un aménagement bien conçu, le seul risque auquel les riverains sont exposés est donc d’avoir momentanément quelques centimètres d’eau sur la chaussée ou sur leur pelouse. Comme les événements de ce type sont très rares (quelques fois par siècle), ce risque est tout à fait acceptable.

La surface de l’ouvrage ne risque-t-elle pas de se colmater ?

Ce risque concerne la couche de surface de l’ouvrage. L’accumulation de matières due à des arrivées d’eau de ruissellement chargée en particules, mais aussi à d’autres apports naturels (poussières apportées par le vent, débris végétaux) ou anthropiques (détritus), risque de conduire peu à peu à son colmatage. La perméabilité de la surface se réduit progressivement et il peut arriver un moment où l’eau n’arrive plus à pénétrer dans l’ouvrage ; l’eau stagne longtemps en surface et induit des nuisances (moustiques par exemple).

Ce colmatage existe. Il est la contrepartie obligatoire de l’efficacité des ouvrages à dépolluer les eaux. Les particules piégées sont en effet le support des contaminants et le fait qu’elles soient fixées près de la surface permet de ne pas les retrouver plus profondément dans le sol ou dans les nappes. D’autres causes peuvent également jouer un rôle, comme le tassement de la couche de surface, par exemple si elle est accessible au public.

Ce risque doit donc impérativement être pris en compte dès l’étape de conception. Les règles suivantes sont le plus souvent efficaces :

  • Prévoir un dispositif permettant à l’eau de se filtrer ou de décanter avant l’arrivée dans l’ouvrage (par exemple une bande enherbée) ;
  • Végétaliser l’ouvrage, le développement des racines permettant de maintenir une certaine perméabilité ;
  • Prendre des mesures pour éviter le piétinement ou le passage de véhicules sur l’ouvrage (la végétalisation constitue là aussi une bonne solution, surtout si elle est arbustive et dense) ;
  • Nettoyer régulièrement l’ouvrage, en particulier dans le cas d’une voirie ;
  • Limiter le rapport surface contributive / surface d’infiltration à une valeur aussi faible possible (si possible inférieure à 10) ;
  • Si le risque est vraiment très important, prévoir éventuellement des ouvrages annexes, comme des drains, permettant d’introduire directement l’eau dans la masse de l’ouvrage.

Le colmatage possible des couches de surface est un risque réel à prendre en compte. Il existe aujourd’hui des guides explicitant des règles simples de conception de suivi et d’exploitation, permettant de s’en prémunir efficacement [5].

Infiltrer l’eau ne risque-t-il pas de provoquer des glissements de terrain ?

La présence d’eau en quantité importante dans le sol peut parfois contribuer à le déstabiliser et aggraver ainsi les risques de glissements de terrain. De la même manière, si l’eau s’accumule derrière un obstacle (mur de soutènement par exemple), sa présence peut augmenter fortement la pression et entraîner l’effondrement de l’ouvrage.

Ces risques existent et doivent être pris en compte. Ils ne doivent cependant pas être exagérés car ils sont avérés uniquement dans les zones instables. En cas de doute une expertise par un hydrogéologue permet d’évaluer le risque réel.

Le type de situations où il existe un risque réel est peu fréquent et, dans la plupart des cas, ce risque peut être contrôlé en évitant de concentrer l’eau [6] sur les zones exposées.

Infiltrer l’eau à côté d’un immeuble ne risque-t-il pas de provoquer des nuisances ou des dégâts ?

Deux craintes de natures différentes sont également souvent exprimées :

  • l’infiltration de l’eau à proximité va entraîner les particules fines du sol et déstabiliser les fondations ;
  • la présence d’eau dans le sol à proximité des sous-sols va être une source de nuisance (humidité, infiltration d’eau) ; de plus elle va faire remonter localement la nappe phréatique et exercer une pression sur l’immeuble.

Ces risques sont en partie réels, mais ils doivent cependant être fortement relativisés.

Pour que la présence d’eau pose de réelles difficultés, il faut en effet que le sol soit très peu perméable en profondeur ou que la nappe phréatique soit très proche de la surface.

Dans la plupart des situations ces conditions ne sont pas remplies et il n’y a donc aucun risque.

De plus, même si ces conditions sont remplies et qu’il existe un risque réel, l’infiltration reste possible en respectant deux règles simples de bon sens :

  • Ne pas installer de dispositif d’infiltration à moins de trois mètres de la paroi du bâtiment le plus proche ;
  • Ne pas drainer dans le dispositif d’infiltration proche d’un bâtiment une surface supérieure à la surface de ce bâtiment.

Dans la plupart des cas, l’infiltration de l’eau, même au ras des murs du bâtiment, ne pose donc aucun problème [7].

Infiltrer l’eau dans une chaussée, ou dans sa proximité immédiate, n’est-il pas dangereux pour sa stabilité ?

Lorsque la solution technique proposée consiste à infiltrer l’eau sous une voirie (parking, piste cyclable, rue, cheminement piéton, etc.), ou dans un ouvrage situé dans sa proximité immédiate, une crainte très souvent évoquée concerne les risques pour la stabilité de l’ouvrage.

Tous les sols contenant de l’argile peuvent en effet changer de volume selon leur humidité : ils gonflent en présence d’eau et se tassent lorsqu’ils sèchent. Maintenir une humidité constante dans les différentes couches constituant une voirie est donc une règle classique de conception qui semble être contradictoire avec l’utilisation de ces espaces pour infiltrer l’eau.

En pratique, le risque est là aussi fortement exagéré.

Dans le cas d’une infiltration sous la voirie, cette dernière possède toujours une fonction complémentaire de stockage. Le terme consacré est d’ailleurs « chaussée à structure réservoir ». Les couches profondes de la voirie (couche de forme et de fondation) sont donc traitées de façon adaptée à cette fonction. La solution la plus simple et la plus économique consiste à les construire avec les granulats concassés réservant une grande part de vides communiquant pour que l’eau puisse circuler facilement et dispose d’un volume suffisant.

Les risques de gonflements d’argile sont donc inexistants, de même d’ailleurs que les risques de dégradation dus aux changements de volume de l’eau lors des cycles gel-dégel.

Dans le cas d’une infiltration à proximité d’une voirie traditionnelle (par exemple dans un fossé ou dans une tranchée), il suffit que la perméabilité sous le dispositif d’infiltration soit beaucoup plus forte jusqu’à une profondeur au moins égale à la fondation de la chaussée pour éviter tout risque. L’eau privilégie en effet toujours le chemin le plus facile et dans les milieux très perméables les écoulements se font principalement dans la direction verticale.

Si c’est le sol support lui-même qui est sensible à l’eau, soit parce qu’il contient beaucoup d’argile, soit parce qu’il est soluble (présence de gypse par exemple), il reste toujours la possibilité de se contenter d’utiliser le corps de chaussée pour stocker provisoirement l’eau et de rechercher un autre exutoire en déplaçant la zone d’infiltration.

La surface nécessaire pour infiltrer l’eau ne va-t-elle pas être trop importante ?

Une autre crainte souvent exprimée est la suivante : Pour que l’ouvrage fonctionne correctement, le ratio surface contributive/surface d’infiltration doit être faible. De ce fait, la surface foncière consommée devra être importante, ce qui entraînera un coût très élevé pour ce type de solution.

Cet argument est vrai si l’espace utilisé pour infiltrer l’eau a pour seule fonction la gestion des eaux pluviales.

Mais l’intérêt principal des solutions alternatives réside justement dans la possibilité de partager leur surface pour accueillir d’autres usages. Les périodes de pluie ne représentent en fait qu’un pourcentage infime du temps, moins de 5% sur la plupart des régions de France métropolitaine. Ceci signifie que pendant 95% du temps les espaces utilisés pour infiltrer l’eau sont disponibles de façon exclusive pour une ou plusieurs autres fonctions.

Le plus simple est bien sûr de les utiliser comme éléments du paysage urbain. Un fossé peut être associé à une haie pour créer une trame verte, il peut contenir une végétation intéressante du fait de la présence plus importante de l’eau. Les parties non infiltrantes d’une noue ou d’un bassin peuvent être traitées en pelouse, en espace de détente ou en terrain de jeux pour les enfants. Tous ces espaces peuvent jouer un rôle dans le développement de la biodiversité, etc… Les fossés ont d’ailleurs été partie intégrante des routes pendant des centaines d’années et le sont toujours en secteur périurbain et rural.

La tendance actuelle consiste d’ailleurs à inverser complètement le point de vue. Il ne s’agit plus de s’interroger sur les autres fonctions susceptibles d’être attribuées à un ouvrage de gestion des eaux pluviales, mais de se demander quelle est la meilleure façon d’utiliser les espaces urbains à créer, pour les doter, en plus, d’une fonction de gestion des eaux pluviales.

Le surcoût pour adapter ces espaces à la gestion des eaux pluviales est alors bien inférieur à celui d’un réseau d’assainissement traditionnel.

Par ailleurs, si aucune solution « verte » ne présente de l’intérêt dans le cadre du projet, d’autres solutions existent (revêtements poreux très diversifiés) qui permettent d’utiliser les cheminements piétons et vélos, les parkings, les voiries peu circulées, etc., comme espaces d’infiltration.

Les espaces d’infiltration ne vont-ils pas devenir des dépotoirs ?

Les noues et les fossés d’infiltration sont des ouvrages de petite taille qui peuvent très facilement être « oubliés », en particulier lorsqu’ils sont situés sur le domaine privé ou que leur gestionnaire est mal identifié (ce qui est un risque potentiel du fait de leur plurifonctionnalité).

Or les espaces urbains qui ne sont pas régulièrement nettoyés sont le plus souvent rapidement perçus comme des terrains vagues et deviennent le réceptacle de déchets de tous ordres, induisant nuisances, colmatage et mécontentements.

Une crainte associée souvent exprimée est que, en l’absence d’entretien par la collectivité, ces espaces deviennent rapidement de véritables dépotoirs.

Cet argument perd beaucoup de sa portée si l’on considère que ces espaces sont principalement des espaces d’agrément qui ont, en plus, pendant de très courtes périodes de temps, une fonction de stockage provisoire et d’infiltration des eaux de pluie.

S’ils sont conçus et exploités comme tels et il n’y a pas plus de risque d’oubli ou de dysfonctionnement que pour n’importe quel autre espace vert.

Ces espaces ne posent-ils pas des difficultés particulières d’exploitation et d’entretien ?

Deux autres questions souvent soulevées concernent la viabilité hivernale et l’entretien de la végétation de ces espaces.

Les moyens traditionnels utilisés pour assurer la viabilité hivernale reposent sur l’utilisation de produits fondants (sels de déneigement) et l’entretien de la végétation mobilise souvent l’utilisation d’engrais ou de produits phytosanitaires.

Dans les deux cas la conséquence est la production de polluants qu’il est dangereux d’infiltrer dans le sol et la nappe. D’où l’idée que l’utilisation de techniques d’infiltration risque de nécessiter une modification des pratiques et d’interdire les modes de gestion habituels.

En réalité la mise en œuvre de techniques d’infiltration ne contraint nullement les pratiques de gestion habituelles. Les surfaces concernées sont en effet suffisamment faibles pour que les risques pour l’environnement ne soient pas augmentés par rapport à ceux existant dans le cas de l’utilisation des techniques traditionnelles.

Il n’en demeure pas moins, mais c’est une question beaucoup plus générale, que ces produits ne sont effectivement pas une bonne chose pour la nature et qu’il vaudrait mieux en réduire fortement l’usage.

Beaucoup de collectivités se sont déjà engagées dans des politiques de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires (plans zérophyto par exemple). Les évolutions actuelles de la réglementation prévoient d’ailleurs d’interdire totalement leur utilisation en ville dans les prochaines années [8].

Il reste encore aux usagers à accepter le fait que les trottoirs et autres voies de dessertes ne soient pas systématiquement déneigés et qu’apparaisse un peu de "nature en ville".

Le fait d’infiltrer les eaux pluviales n’entraîne donc aucune obligation de changer les modalités de gestion des espaces publics, mais peut être une opportunité et un argument supplémentaire pour les faire évoluer vers des solutions plus respectueuses de l’environnement.

[1Voir par exemple Chocat et al (2010).

[2l’eau de pluie qui tombe sur une surface imperméable n’a aucune raison d’être plus sale que si elle tombe sur une pelouse, or personne ne conteste l’idée qu’il est possible de laisser l’eau s’infiltrer à travers une pelouse.

[3Il est de toute façon impossible de se prémunir contre tout risque de pollution accidentelle dans la mesure où un grand nombre de pollutions accidentelles (incendies, accidents de circulation, …) se produisent sur des surfaces perméables (bas-côtés des routes) ou sur des zones ne bénéficiant pas d’ouvrages de confinement.

[4Pour les spécialistes, par très peu perméable, nous entendons de l’ordre de 10-6 m3/s/m²

[5Voir par exemple Barraud et al (2009) sur le site internet du Graie

[6Rappelons que l’objectif n’est pas d’infiltrer plus d’eau que dans la situation qui prévalait avant l’urbanisation, mais de faire en sorte que l’imperméabilisation des sols n’ait pas pour conséquence une diminution de la fraction infiltrée.

[7En réalité, le risque d’excès d’eau dans le sol est extrêmement faible devant le risque de manque d’eau. Ce sont en effet les tassements associés au dessèchement des sols qui sont en cause dans presque tous les cas de dégâts aux immeubles.

[8L’interdiction dans les espaces publics est prévue pour 2020 et dans les jardins particuliers à dater de 2022.

Quelle est l’évolution actuelle de l’utilisation de ces solutions ?

Au cours des 25 dernières années, la situation a beaucoup évolué en France, mais également dans la plupart des pays développés. L’utilisation de solutions dites alternatives au réseau d’évacuation est aujourd’hui presque devenue la règle dans les opérations nouvelles d’aménagement qui font presque systématiquement référence à l’éco-compatibilité. Beaucoup de collectivités locales ont inscrit le recours à ces solutions comme une obligation dans leurs règlements d’assainissement ou leurs documents d’urbanisme. Les agences de l’eau favorisent la mise en œuvre de solutions durables dans leur stratégie d’aides et de subventions. Enfin, l’état, même s’il n’a plus de prérogative dans ce domaine depuis la loi de décentratisation, encourage également leur développement (voir par exemple les ouvrages du CERTU cités en référence).

Parmi ces solutions alternatives, celles reposant sur l’infiltration des eaux pluviales font certainement partie des plus économiques et des plus faciles à mettre en œuvre. Les techniques disponibles sont variées et peuvent s’adapter à la plupart des situations. Les connaissances disponibles pour leur conception, leur construction et leur gestion sont diffusées dans de nombreux guides [1] .

L’utilisation de ces solutions devrait donc se généraliser.

Pourtant ce n’est pas le cas.

Le texte précédant montre que les raisons, dites objectives, souvent mises en avant pour continuer à utiliser les solutions traditionnelles, sont généralement mal fondées.

Les raisons réelles sont à chercher ailleurs : le poids des habitudes, l’organisation des métiers, le découpage des responsabilités, la défense des intérêts acquis.

Il faudra sans doute encore un peu de temps pour que les villes deviennent réellement transparentes pour l’eau, mais les impératifs du changement climatique rendront certainement cette évolution obligatoire.

[1Voir par exemple les sites internet de l’Adopta, du CEREMA ou du GRAIE.

Pour en savoir plus

  • Document rédigé par Bernard Chocat (LGCIE-DEEP – INSA Lyon)
  • Relecteurs : le groupe de travail régional du Graie sur les eaux pluviales

Documents de référence :

Sites web de référence utilisés pour le texte de synthèse

  • Site internet du GRAIE, avec beaucoup de documents à télécharger et en particulier les actes des conférences Novatech.
  • Site internet du CEREMA (ex CERTU)

Autres sites web pour trouver de la documentation sur les techniques alternatives